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  • E-newsletter n°12
  • Acquisitions: le XVIIe siècle à l’honneur
  • Willem Bastiaan Tholen (1860-1931)
  • Palézieux (1919-2012)
  • Acquisitions récentes
  • Deux tableaux de la collection Van Horne: destins croisés
  • Théophile Thoré-Bürger à travers le prisme des lettres et manuscrits
  • Un volume d’estampes de la bibliothèque de Guillaume de Lamoignon
  • Deux de nos dessins à Florence
  • Le futur de l’histoire de l’art dans notre bibliothèque
  • Interview avec Ger Luijten dans Kunstschrift

Septembre 2019

Dans ce numéro:

* Acquisitions: le XVIIe siècle à l’honneur * Exposition Willem Bastiaan Tholen (1860-1931), un impressionniste néerlandais * Exposition Palézieux (1919-2012). Œuvres sur papier * Acquisitions récentes * Deux tableaux de la collection Van Horne: destins croisés * Théophile Thoré-Bürger à travers le prisme des lettres et manuscrits * Un volume d’estampes de la bibliothèque de Guillaume de Lamoignon * Deux de nos dessins à Florence * Le futur de l’histoire de l’art dans notre bibliothèque

Acquisitions: le XVIIe siècle à l’honneur

«Avenir de la collection», était-il écrit en haut d’un courriel que m’adressa, un été il y a quelques années, le collectionneur Jan Willem Salomonson (1925-2017).

J’avais fait sa connaissance pendant mes études à Utrecht et nous avions toujours entretenu de chaleureuses relations. J’ai beaucoup d’estime pour ses activités et publications d’archéologue et d’historien de l’art. À peine deux semaines plus tard, je me trouvais dans sa maison de Bilthoven, aux Pays-Bas, pour examiner avec lui la collection qu’il avait constituée avec son épouse Karin Rupé, principalement durant les années qui suivirent sa retraite comme professeur de l’Université d’Utrecht (ill. 1). Le noyau rassemblait des peintures hollandaises du XVIIe siècle, mais aussi des sculptures et divers tableaux des XIXe et XXe siècles. Quelque temps avant sa mort, Jan Willem avait réussi à publier, avec l’aide de sa fille Jantien Black et de Marina Aarts, le catalogue de ladite collection sous le titre Diversiteit en samenhang. Catalogus van een studiekabinet (Diversité et cohérence. Catalogue d’un cabinet d’étude) (Delft 2016). Jan Willem avait une grande admiration pour Frits Lugt (1884-1970) et connaissait bien la collection de la Fondation Custodia. Il supposait que certaines de ses œuvres s’y intégreraient parfaitement du fait de leur nature. Il avait totalement raison.

Il fut décidé de choisir un groupe de peintures hollandaises du XVIIe siècle que la Fondation Custodia achèterait aux héritiers et de léguer deux tableaux à l’État néerlandais que ce dernier mettrait en dépôt rue de Lille à Paris – la Fondation Custodia ayant aux Pays-Bas un statut de fondation à but non lucratif. Les tableaux hollandais ont depuis été acquis et nous attendons maintenant la décision de l’État néerlandais.

Frits Lugt avait su discerner très tôt les qualités de Jacob Esselens (1626/28-1687) comme peintre de scènes de plage et il en avait achetées deux parmi les meilleures. Un rarissime Portrait d’une jeune femme, signé du nom entier de l’artiste, que Wolfgang Stechow, un ami de Lugt, avait jadis publié, vient aujourd’hui compléter ce petit ensemble (ill. 2). Il se trouve d’autant plus dans son élément que l’intérieur dans lequel la jeune femme est représentée, debout devant un meuble sur lequel sont posés des objets de toilette, offre un exemple de salon hollandais que Lugt et son épouse ont souhaité créer à l’hôtel Turgot.

Le petit Portrait de Willem Cornelisz Backer peint en 1688 par Willem van Mieris (1662-1731) (ill. 3) est remarquable par son état de conservation. Les peintres du mouvement des «fijnschilders» (peintres précieux) sont peu présents dans la collection et ce très bel exemple de l’art du fils de Frans van Mieris constitue un enrichissem*nt de premier ordre pour l’ensemble des portraits en miniature et la série de petit* portraits à l’huile. Son pendant, le Portrait de Magdalena de la Court, épouse du peintre, également daté de 1688, se trouve au musée municipal De Lakenhal à Leyde.

Un intrigant autoportrait de 1634, monogrammé I. S., est également venu renforcer la collection (ill. 4). Son auteur, dont l’œuvre peut être reconstitué sur la base d’une trentaine de tableaux, mais dont la véritable identité n’a pas encore été déterminée, aimait à se représenter lui-même dans divers rôles et sous différents costumes. Il est ici assis sur une chaise, le pied posé sur une pile de livres, un marteau d’armes à la main et un linge noué dans les cheveux suggérant sa bravoure. Des éléments iconographiques qui, d’après Salomonson, indiquent que le maître s’est représenté comme la personnification du tempérament colérique, pour faire pendant à un petit tableau conservé à Aschaffenburg réalisé la même année, dans lequel il illustre le tempérament sanguin sous les traits d’un homme absorbé dans sa lecture.

Tout aussi singulier est l’unique tableau d’Esaias van de Velde (1587-1630) qui ne traite pas d’un paysage ou d’une scène de genre mais d’un sujet mythologique – Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie en flammes (ill. 5). Signé «E. V. Velde» et daté de 1626, il est exactement le genre d’œuvres inhabituelles que Frits Lugt s’est plu toute sa vie à rechercher.

Le paysage italianisant circulaire, peint sur cuivre, dans lequel un page indique le chemin à un cavalier au bas de ruines romaines transformées en maison (ill. 6) est simplement monogrammé BB. Bartholomeus Breenbergh (1598-1657) est déjà présent à la Fondation Custodia à travers une superbe série de dessins, ainsi qu’un tableau dont l’étude préparatoire a pu être acquise récemment. Ce travail rappelle les paysages ronds et intemporels de Goffredo Wals (vers 1600-1638/40) et montre les fortes analogies dans l’œuvre des deux artistes, qui entretenaient chacun des liens étroits avec Claude Lorrain.

L’ensemble de grisailles et de peintures monochromes de l’hôtel Turgot s’est enrichi d’une version peinte et dessinée, sur un petit panneau préparé, de Loth et ses filles par Abraham Bloemaert (1566-1651) (ill. 7). Tandis que les filles enivrent leur père pour s’unir avec lui et assurer ainsi leur descendance, l’épouse est figée en statue de sel à l’arrière-plan à droite. L’application des touches de peinture avant le dessin à la plume et à l’encre brune est caractéristique de la technique de Bloemaert. Le résultat est proche des gravures en clair-obscur que l’artiste avait l’habitude de produire dans son atelier, dont les valeurs étaient obtenues à l’aide de blocs de bois et le trait avec une plaque de cuivre.

Un tableau que Jan Willem et son épouse aimaient particulièrement est la Vue des remparts d’Utrecht côté sud à hauteur de la Mariawaterpoort de 1645 (ill. 8) de Herman Saftleven (1609-1685), dont ils réussirent même à acquérir le dessin préliminaire, lors d’une vente publique organisée à Munich en 2013. Récemment nettoyé et pourvu d’un cadre du XVIIe siècle, l’œuvre est aujourd’hui exposée à tous les regards dans la salle-à-manger de l’hôtel Turgot. Elle donne le sentiment d’avoir été réalisée lors d’une belle journée ensoleillée et prouve que les paysages du sud de l’Europe n’ont pas le monopole des chaudes lumières dorées. La scène nous transporte directement sur les contreforts des remparts de la ville d’Utrecht et relève presque du travail «sur le motif» typique du XIXe siècle. Jan Willem a publié une étude détaillée de ce tableau et de sa topographie. Le traitement de la lumière tient du miracle et la sobriété des façades des bâtiments augmente encore la magie du spectacle qui s’offre à nos yeux. La ville d’Utrecht redonne actuellement vie à sa ceinture de fortification, rouvre et irrigue les canaux comblés, et ce tableau a déjà été demandé en prêt pour l’exposition qui accompagnera le fruit de ses efforts.

Et puis il y a la peinture innovante du frère de Herman, Cornelis (1607-1681), analysée de façon éclairante par le collectionneur. C’est une Allégorie des vices et de l’impossibilité d’éliminer la folie humaine (ill. 9). Dans un paysage désolé, nous rencontrons un groupe de figures, pour la plupart animales ou mi-animales mi-humaines, représentant les vices de l’humanité. Un cochon, symbolisant la Gourmandise (Gula), s’adresse à elles. Il se tient debout sur un tonneau de bière, une chope à la ceinture et lisant le «Varkenskrant» (Journal du Porc). La bannière blanche à gauche, qui présente une signature, la date de 1629 et le texte «Elck spelt met syn sottie» (Chacun joue avec sa sottise), est tenue par un chien coiffé de plumes, signifiant l’Orgueil (Superbia). Plusieurs créatures portent une marotte (attribut de bouffon) pour montrer leur folie. Leurs actions sont pour le moins incontrôlées et personne ne semble prêter attention au message qui brille d’en haut à travers les nuages.

De l’autre côté de la composition, un crâne perché sur un arbre mort et une clochette indiquent que la mort mettra fin à toutes les activités humaines et aux chamailleries. En bas, Saftleven crée un paradoxe merveilleux: dans le nid, une chouette couve ses œufs. Ceci symbolise le fait que la mort ne peut empêcher l’apparition d’une nouvelle génération de hiboux (c’est-à-dire des fous). Cette dernière notion a été illustrée avec éloquence dans une gravure du XVIe siècle, publiée à Anvers par la veuve de Hieronymus co*ck, montrant un nid dans lequel deux parents insensés donnent vie à une famille de fous (ill. 10). Les autres motifs, la temporalité de la vie et le fait que l’humanité est gouvernée par les vices, trouvent aussi leur origine dans l’art plus ancien, mais la façon de les exposer de cette manière piquante et monochrome est due à la créativité de Cornelis Saftleven.

La collection de peintures de Lugt n’est pas très riche en scènes de mythologie classique, ce qui rend d’autant plus bienvenue l’addition de la remarquable Vénus et l’Amour pleurant la mort d’Adonis de l’artiste rare Reynier van der Laeck (1615/1620-1647/1648), qui fut actif à La Haye (ill. 11). La représentation a quelque chose de théâtral, renforcé par le ciel gris anthracite. La déesse de l’amour et son fils versent des larmes près du corps sans vie du beau jeune homme étendu sur un drap, et la sobriété du paysage ajoute à l’impact dramatique du tableau. L’histoire est dépouillée jusqu’à son essence. Il n’y a pas de détails anecdotiques, et cette peinture datée de 1641 est plutôt inhabituelle. Jusqu’aux années 1950, elle faisait partie de la collection du Gemeentemuseum à La Haye. Elle a été vendue dans le but d’acheter des œuvres d’art contemporaines. Les Salomonson l’acquirent en 1979, avec l’espoir de lui donner une place permanente dans un environnement approprié. C’est maintenant chose faite. Le tableau est accroché à côté d’une œuvre de Jacob van Loo, Diana et Calisto, avec une mise en scène comparable d’un motif classique.

L’artiste anversois Cornelis de Vos (vers 1584-1651) est surtout connu comme portraitiste, mais on lui doit aussi quelques scènes d’histoire largement influencées par Rubens. De la collection des Salomonson, nous avons acquis une des très rares esquisses à l’huile, réalisée pour le grand tableau Alexandre le Grand et la famille de Darius (ill. 12). Ce modello a précédemment appartenu au collectionneur Daniël George van Beuningen qui, en sa qualité de mécène, donna son nom au Museum Boijmans de Rotterdam en 1958. Il manifeste lui aussi clairement l’influence de Rubens. La peinture de grand format correspondante, qui s’écarte peu du modello, est conservée au musée d’Oldenburg en Allemagne. Notre souhait d’ajouter le tableau de Cornelis de Vos à la collection est lié à l’importance que l’esquisse à l’huile a pris désormais à la Fondation Custodia, des paysages de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles aussi bien que des esquisses du XVIIe siècle. Il y a quelques années, nous avons acheté une esquisse d’un groupe de musiciens sur un fond doré, exécutée d’une main rapide et adroite par le Flamand Antonie Sallaert, et une «brunaille» d’Adriaen van der Werff (un ricordo d’un tableau perdu à Potsdam). Enfin, un ami historien néerlandais a promis de nous faire don d’une esquisse à l’huile de Hans Jordaens III, rassemblant divers motifs – la plupart bibliques – destinés à être repris plus tard pour la composition de paysages.

L’achat lors de la dernière édition de la TEFAF à Maastricht d’un modello de Jan Weenix (1640-1719) (ill. 13) pour une grande nature morte de la collection de Calouste Gulbenkian à Lisbonne (ill. 14) est, en la matière, tout bonnement sensationnel. Lors d’une vente précédente (vente Christie’s du 21juin 1987 à Monte-Carlo), cette esquisse d’une incroyable liberté n’avait pas échappé à mon attention et j’avais essayé de l’acquérir pour le Museum Boijmans Van Beuningen, mon employeur de l’époque. Trois ans plus tôt, ce musée avait consacré une forte intéressante exposition à l’esquisse à l’huile, dans laquelle figurait un autre exemple provenant de Weenix de la collection du musée Herzog Anton Ulrich à Braunschweig. J’ignorais qu’il était possible de traiter si librement la peinture dans une nature morte du XVIIe siècle et l’esquisse m’a fait penser aux œuvres de Manet. C’est une grande joie de pouvoir désormais donner à cette huile de Weenix la place qu’elle mérite au sein de la Collection Lugt. Avec les œuvres susmentionnées, elle donne une vraie impulsion à la représentation du XVIIe siècle dans notre maison.

Ger Luijten
Directeur

Un impressionniste néerlandais

Willem Bastiaan Tholen (1860-1931)

Exposition du 21septembre au 15décembre 2019

En janvier cette année, le Dordrechts Museum aux Pays-Bas a annoncé l’acquisition d’un autoportrait de l’artiste Willem Bastiaan Tholen (ill. 1). Le tableau tient une place à part dans l’œuvre de l’artiste car, fait rare, on le voit en plein air, en train de peindre dans une forêt.

Exécuté en 1895, à l’âge de 35 ans, Tholen s’y présente comme un véritable peintre de paysage. Avec ses touches courtes et vives pour rendre les taches de lumière qui traversent le feuillage des arbres, l’œuvre n’est pas sans rappeler le travail des impressionnistes. Le tableau a été publié plusieurs fois, mais dernièrement sa localisation était inconnue. Il a été redécouvert dans une collection privée. Ce sont les Bedrijfsvrienden (Société des Amis) du musée qui l’ont offert à l’occasion de leur vingt-cinquième anniversaire.

Le tableau est exposé lors de la grande rétrospective organisée par la Fondation Custodia et le Dordrechts Museum et qui débute à Paris le 21septembre. Les deux musées souhaitent introduire ce peintre encore inconnu aux publics français et néerlandais. En effet, Tholen ne bénéficia pas de l’attention que reçurent certains de ses contemporains, à l’instar des artistes du mouvement naturaliste de l’École de La Haye à laquelle appartenait son maître P. J. C. (Constant) Gabriël (1828-1903), ou encore des impressionnistes d’Amsterdam tel que George Hendrik Breitner (1857-1923). Toutefois, de son vivant, Tholen était très apprécié. Il reçut de nombreux prix, eut plusieurs expositions monographiques dans des galeries et compta parmi ses clients des collectionneurs britanniques, canadiens et américains. La rétrospective est l’occasion de faire découvrir l’artiste en proposant un choix d’œuvres diverses qui témoignent de son talent.

Tholen débuta dans les années 1880 notamment comme peintre de paysage. Pendant les années 1880-1885, alors qu’il travaillait en tant que professeur de dessin à Kampen, la ville où il grandit, il découvrit Giethoorn. Ce village était alors très difficile d’accès et avait préservé ses coutumes et caractéristiques. Ses habitants avaient la particularité de se déplacer toujours en bateau et le village était rythmé par ses canaux et ses petit* ponts en bois rustiques qui devaient être assez hauts pour pouvoir faire passer les barques remplies de foin.

Le peintre s’installa ensuite à La Haye et commença alors à peindre des sujets très divers: vues urbaines, intérieurs, portraits, marines. Le choix des sujets est parfois surprenant, tel le tableau ensoleillé d’ouvriers du bâtiment à La Haye (ill. 2). Ici, le centre d’attention semble être le baraquement en bois clair que les travailleurs se sont construit. Le tableau ne montre pas seulement le talent d’observation de l’artiste mais aussi la manière avec laquelle il réussit à communiquer la beauté d’un sujet ordinaire tel qu’un chantier de construction. Lors de l’exposition du tableau en 1896 chez le marchand d’art Biesing à La Haye, un critique s’étonna: «Qui aurait pu s’imaginer qu’un terrain à bâtir parsemé d’entassem*nts de pierres et de constructions en bois, de tas de mortier et de piles de poutres, par la main d’un artiste pourrait devenir une œuvre délicieuse dans les couleurs et les tons?».

En 1901, Tholen se fit construire un voilier traditionnel, l’Eudia, avec lequel il voyagea sur les lacs hollandais, le Zuiderzee (ancien golfe de la mer du Nord, aujourd’hui transformé en un lac, l’IJsselmeer) et en Zélande. À partir de ce moment, il se consacra de plus en plus à peindre des marines, ainsi que des vues de villages de pêcheurs. C’est en 1904, lors d’un passage en bateau à Oude Wetering, qu’il peignit un tableau de ce village au bord d’un canal situé près des lacs de Hollande, comme le Braassemermeer et le Kaag (ill. 3). Ce tableau a pu rejoindre la collection de la Fondation Custodia, grâce à une donation, en 2016.

Récemment, la Fondation Custodia a eu l’opportunité d’acquérir un autre tableau de l’artiste (ill. 4). Celui-ci illustre parfaitement l’attention qu’il pouvait porter à des motifs très communs: une vue d’un mur sobre, avec une fenêtre ouverte constitue le sujet assez banal de l’œuvre. À droite, on voit plusieurs arbres et on découvre en bas près du mur une poule noire. Il s’agit du mur extérieur de l’atelier qui se trouvait sur le domaine d’Ewijkshoeve. Cette propriété appartenait à la famille du peintre Willem Witsen (1860-1923), un ami proche de Tholen. C’était un lieu de rencontre important entre artistes, écrivains et musiciens. À partir de 1885, Tholen y travailla fréquemment. La famille Witsen avait même mis un atelier à sa disposition, qu’il représenta ici. Le tableau, de petit format, a probablement été exécuté partiellement d’après nature, telle une esquisse à l’huile. En effet, le peintre peignait souvent en plein air, et s’exerçait toujours à rendre fidèlement ce qu’il voyait.

En témoignent également ses estampes et ses dessins. Dessinateur particulièrement talentueux et prolifique, Tholen retranscrivait tout ce qui se présentait à ses yeux sur papier, comme par exemple cette vue de toits, dessin gracieusem*nt offert à la Fondation Custodia en 2016 (ill. 5).

Enfin, une dernière nouvelle est à ajouter: cet été, la Fondation Custodia a pu acheter un panneau qui constitue un document rare concernant le voyage que Tholen a fait à Barbizon, dont on ignore encore beaucoup de choses (ill. 6). Seulement un dessin de sa main représentant une vue d’un atelier dit de Théodore Rousseau (1812-1867) était publié, mais celui-ci est non daté. Grâce à une lettre de l’artiste Jan Veth à Witsen mentionnant Tholen, nous savons que ce dernier était à Barbizon avant ou autour du 14mai 1887. Le tableau acquis par la Fondation Custodia, qui était encore inconnu jusqu’à maintenant, est daté de 1887, ce qui confirme l’année de la visite de Tholen dans ce village d’artistes près de la forêt de Fontainebleau. Cette vue d’une porte et d’un mur de jardin à Barbizon est présentée pour la première fois dans l’exposition.

La grande rétrospective de cet artiste, dont le travail n’a encore jamais été montré en France, contient une centaine d’œuvres: tableaux, dessins et estampes. Elle est accompagnée d’un catalogue scientifique en néerlandais, partiellement traduit en français.

Rhea Sylvia Blok

Willem Bastiaan Tholen (1860-1931). Een gelukkige natuur
Sous la direction de Marieke Jooren
Uitgeverij THOTH, Bussum, 2019
320 pages, 300 illustrations en couleur, 24 × 28 cm
ISBN: 978 90 6868 793 4 (broché)
29,95 €

Œuvres sur papier

Palézieux (1919-2012)

Exposition du 21septembre au 15décembre 2019

En parallèle à l’exposition consacrée à Willem Bastiaan Tholen, la Fondation Custodia déploie dans les salles du bas de l’hôtel Lévis-Mirepoix plus d’une centaine d’œuvres sur papier de l’artiste suisse Gérard de Palézieux (1919-2012).

Les techniques privilégiées par Palézieux sont l’estampe, le dessin, le lavis et l’aquarelle. Cette exposition permet de prendre la mesure de la cohérence de son œuvre, au gré des thèmes favoris traités par l’artiste: le paysage, le portrait et la nature morte.

La «musique silencieuse» de Palézieux

Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia depuis 2010, ouvre régulièrement ses portes aux artistes contemporains qui s’inscrivent dans la tradition. Ces artistes, peu connus en France et que Ger Luijten souhaite faire découvrir, travaillent les techniques sur papier en écho aux maîtres d’autrefois.

Comment avez-vous connu Gérard de Palézieux?

En 2000, il y a eu une importante exposition au Museum Het Rembrandthuis à Amsterdam consacrée à Palézieux. Cet artiste a créé un œuvre considérable sur papier. Il a produit de nombreux dessins, estampes et aquarelles et était aussi peintre. Cette exposition à Amsterdam a eu un grand impact auprès des visiteurs, mais aussi sur moi et j’ai décidé de rencontrer Palézieux. Il était renommé en Suisse. Je suis allé lui rendre visite en 2012 à Veyras où il travaillait. Il était déjà très âgé et fragile, il parlait difficilement mais était capable de s’exprimer avec clarté. Je lui ai proposé de venir faire une exposition à la Fondation Custodia. Il a tout de suite été enthousiaste et il m’a offert un choix de ses estampes en donation. Il était clair qu’à cause de sa santé nous ne pourrions vraisemblablement organiser cette exposition de son vivant. Il était à l’aise avec cette idée et m’a confié: «C’est bien de savoir que quand je ne serai plus là, mon œuvre sera présenté à Paris à la Fondation Custodia, après Amsterdam et Vevey.»

Maintenant, cent ans après sa naissance, nous lui rendons hommage avec cet accrochage centré sur ses œuvres sur papier. Nous avons par ailleurs l’intention de poursuivre avec une exposition intitulée Palézieux Peintre dans quelques années.

Qu’est-ce qui vous a interpellé lors de votre visite à son atelier en 2012?

Cette visite a été très impressionnante car elle m’a donné l’occasion de feuilleter et d’étudier tout son travail. J’ai compris que les dessins, gravures et aquarelles que je tenais entre mes mains étaient liés aux œuvres des artistes d’autrefois. Il allait même jusqu’à utiliser un papier ancien afin de donner un certain âge à ses créations.

Palézieux avait un œil très développé pour les structures que l’on voit clairement dans ses dessins et ses estampes. Il comprenait comment Rembrandt, Castiglione, Canaletto ou Tiepolo avaient pratiqué l’eau-forte pour parvenir à des effets très spécifiques. Il a en outre rencontré et est devenu ami avec Giorgio Morandi, qu’il admirait pour sa façon de vivre et son art. Il disait d’ailleurs avoir eu du mal à se libérer du vocabulaire graphique introduit par Morandi. La pratique du vernis mou et de l’aquatinte, ainsi que du monotype, l’ont mis sur un autre chemin. Relativement tard, il a aussi découvert les possibilités de l’aquarelle. Il a alors été inspiré par les traditions chinoise et japonaise.

Vous êtes retourné à l’atelier par la suite?

Oui. Palézieux avait dû être transféré dans un établissem*nt médicalisé. Je suis revenu là-bas afin de préparer l’exposition que vous découvrez aujourd’hui à la Fondation Custodia. Je suis à nouveau entré dans un univers très personnel. Les matériaux, les éléments de ses natures mortes, les objets qu’il avait fait figurer dans ses œuvres étaient tous là, dans une organisation quasi nonchalante.

Derrière sa chaise, donnant sur son jardin, il y avait une reproduction de l’autoportrait de Jean-Baptiste Camille Corot jeune, réalisé quand il s’était rendu pour la première fois en Italie. En quittant l’atelier, je suis allé vers la résidence où séjournait Palézieux et je lui ai demandé: «Il y a des sources antiques qui affirment que ce que l’on fait dans notre vie, il faut le faire comme si notre meilleur ami nous regardait, car notre ami est aussi notre critique le plus sûr. Est-ce la raison de la présence du portrait de Corot que je viens de voir dans votre atelier?» Palézieux avait les larmes aux yeux: «Oui, c’est exactement ça.»

Palézieux a créé un dialogue avec les artistes du passé sans faire de pastiches. Il est avant tout un artiste très original qui a voulu montrer d’où vient l’art. Il est décédé le 21juillet 2012 à l’âge de 93 ans.

Palézieux a beaucoup dessiné de paysages?

Pendant cette dernière visite que je lui ai rendue en Suisse, nous avons fait une promenade autour de son village et nous avons vu quelques sites qu’il avait dessinés. En parcourant aujourd’hui son œuvre, je m’aperçois qu’il a permis de regarder autrement ce paysage avec ses montagnes, ses collines, ses rochers. Il a réussi à les rendre lisibles, un peu comme Cézanne avec la montagne Sainte-Victoire et les environs d’Aix-en-Provence.

Que doit-on retenir de Palézieux?

Palézieux aimait la poésie et il a donné un regard poétique et simplifié de la réalité. Il n’y a pas d’agressivité ni de force brutale dans ses œuvres. Son travail aide à découvrir une tranquillité dans le monde qui nous entoure, et en nous-mêmes. Quand j’ai dit à mon ami Jean-Baptiste Sécheret, peintre et graveur, qu’on préparait une exposition sur Palézieux, il s’est exclamé: «Ah! Cette musique silencieuse de Palézieux!». Pour moi c’est cela Palézieux, la quiétude de la musique de chambre et non celle d’une symphonie.

Palézieux. Œuvres sur papier
Sous la direction de Florian Rodari et Ger Luijten
5 Continents Editions, Milan, 2019
Quatre volumes de 21 × 25 cm (trois volumes d’images et un de texte), sous coffret
ISBN: 978 88 7439 907 9
49,00 €

Acquisitions récentes

Deux tableaux de la collection Van Horne: destins croisés

Deux tableaux récemment acquis par la Fondation Custodia, l’un de François Bonvin (Vaugirard 1817 – 1887 Saint-Germain-en-Laye) et l’autre de Willem van Mieris (Leyde 1662 – 1747 Leyde) – chacun remarquable à sa manière – partagent de façon inattendue des destins croisés qui nous rappellent une fois de plus les chemins inhabituels parfois empruntés par les œuvres d’art tout au long de leur histoire.

La Nature morte au carton à dessins, cheval de plâtre et pot (ill. 1) de François Bonvin est un bel exemple tardif des ensembles d’objets ordinaires que l’artiste arrangeait avec sensibilité et mettait en lumière de façon quasi-théâtrale, et que les collectionneurs ont fini par admirer, en reconnaissant ainsi combien il s’inscrivait dans la tradition du genre en Europe. Bonvin puisait son inspiration auprès des grands peintres de natures mortes du Siècle d’or néerlandais mais aussi chez le maître français du XVIIIe siècle, Jean-Baptiste Siméon Chardin (1699-1779), dont il avait étudié les œuvres au Louvre. Les compositions de Bonvin offrent au spectateur une vision humble mais néanmoins noble du quotidien, ce qui relie son œuvre aux valeurs et à l’esthétique réalistes prévalant à son époque et exprimées aussi, quoique plus radicalement, par son contemporain Gustave Courbet (1819-1877).

Ici, les outils de l’artiste constituent la thématique centrale du tableau. En ce sens, c’est une sorte de portrait de son métier, et le choix de ce type de sujet modeste, typique de son œuvre, était probablement autant dicté par nécessité que par préférence artistique. Issu d’un milieu populaire, il a souffert tout au long de sa vie d’une santé fragile. Il n’avait en outre reçu qu’une formation artistique relativement limitée et dut, jusqu’à l’âge de trente ans révolus, travailler en tant qu’employé de la préfecture de police afin de subvenir aux besoins de sa famille. C’est en 1849 qu’il commença à exposer aux Salons à Paris, et si ses œuvres furent bien accueillies par la critique, elles ne lui apportèrent pour autant qu’un succès financier limité. Le suicide de son demi-frère Léon Bonvin (1834-1866), peintre talentueux mais sans la moindre reconnaissance et tombé dans l’indigence, contribua sans doute à la rigueur de sa situation qui conduisit ses confrères à organiser une vente afin de lever des fonds destinés à soulager sa misère.

Par contraste, le Portrait de Willem Cornelisz. Backer (ill. 2) de Willem van Mieris, nous présente un modèle richement vêtu qui nous observe avec l’assurance de ceux jouissant d’une situation aisée. Van Mieris lui-même profita d’une véritable renommée de son vivant. Issu d’une dynastie de peintres de la ville de Leyde, il étudia auprès de son père, Frans, dont il hérita de l’atelier. Il suivi également la même voie que lui, dans la tradition des fijnschilders, produisant des œuvres de petite taille très abouties, particulièrement prisées des Néerlandais fortunés.

Le modèle, Willem Cornelisz. Backer (1656-1731), était un avocat d’Amsterdam, éminent collectionneur de naturalia, notable de la ville et gouverneur de l’Amstelkerk, église nouvellement bâtie. Il avait épousé Magdalena de la Court, issue d’une grande famille de négociants en textiles et d’hommes politiques de Leyde, consolidant ainsi sa position dans les plus hautes sphères de la société néerlandaise. Les familles Backer et De la Court comptaient en fait parmi les mécènes les plus importants de Van Mieris, auprès de qui elles commandèrent nombre de portraits, de tableaux d’histoire et de peintures de genre. Plusieurs versions de ce petit panneau ovale de Van Mieris – à peine plus grand qu’une miniature – sont connues. Ce portrait appartenant à la Fondation Custodia est probablement celui inscrit à l’inventaire des biens de la famille De la Court daté de 1749.

À mille lieues l’une de l’autre par leur style, leur rôle et leur époque, les œuvres de Bonvin et de Van Mieris ont trouvé à la Fondation Custodia une destination évidente, grâce au lien qu’elles ont toutes deux avec la peinture hollandaise et son héritage. Elles y entrent depuis des provenances différentes: celle de Bonvin fut acquise de la Galerie Ambroise duch*emin à Paris, et celle de Van Mieris est issue de la collection du célèbre médiéviste Jan Willem Salomonson. Cependant, aussi incroyable que cela puisse sembler, leurs chemins se sont déjà croisés il y a une centaine d’années, puisqu’à l’aube du XXe siècle, elles appartenaient toutes deux au grand collectionneur canadien Sir William Van Horne (1843-1915; ill. 3), fait confirmé par la présence aujourd’hui encore d’une étiquette au verso, identifiée grâce à l’heureuse collaboration entre Maud Guichané, de la Fondation Custodia, et l’auteure du présent article (ill. 4). De telles découvertes, apportant un éclairage nouveau sur les trajectoires des tableaux, illustrent bien la richesse académique héritée du créateur de la fondation, Frits Lugt.

L’histoire de Van Horne est celle somme toute classique d’une réussite spectaculaire du Gilded Age de l’Amérique du Nord. Après une enfance dans un milieu modeste à proximité de Chicago, il se distingua par son travail dans une industrie ferroviaire alors en plein essor, puis émigra au Canada en 1881 pour prendre la tête de la construction de la ligne transcontinentale du Chemin de Fer Canadien Pacifique, et faire ainsi fortune. Après s’être définitivement installé à Montréal, il entreprit de constituer sa collection d’art avec la même perspicacité que celle ayant assuré sa réussite en affaires et avait, à la fin de sa vie, amassé quelque 300 tableaux de maîtres anciens et d’écoles européennes du XIXe siècle, s’attachant souvent les conseils de grands experts, dont messieurs Bredius, Hofstede de Groot et Bode. À l’époque, la collection de Van Horne comptait parmi les plus belles d’Amérique du Nord.

Le tableau de Bonvin de la Fondation Custodia est un des quatre de la main de l’artiste acquis par Van Horne, et provenait selon les archives, d’un marchand d’art new-yorkais nommé Frederick A. Chapman, en 1905, lui-même se l’étant procuré soit directement auprès du peintre américain William Merritt Chase, soit par son intermédiaire. Si on se réfère à l’inventaire des effets personnels de Van Horne, il était accroché dans le salon parmi quelques-uns de ses plus beaux tableaux français du XIXe siècle, dont deux de Delacroix, un de Cézanne et plusieurs de Corot.

Lors de son acquisition par Van Horne en 1909 auprès du marchand d’art londonien Colnaghi, le portrait peint par Van Mieris était alors attribué au père de l’artiste, Frans (la signature a été révélée lors d’un nettoyage en 1964 tandis que l’identité du modèle a été retrouvée ultérieurement par d’autres spécialistes). Il partageait les honneurs du grand salon de réception de Van Horne, aux côtés de ses tableaux de Rembrandt, de trois portraits de Frans Hals et d’autres œuvres qui lui étaient chères.

Du point de vue de l’histoire culturelle canadienne, le destin de la collection Van Horne n’a pas connu une fin heureuse. Si certaines œuvres majeures ont été léguées au Musée des Beaux-Arts de Montréal par sa fille Adaline, une grande part de la collection a été vendue par la suite, en lots ou à l’unité, aussi bien aux enchères qu’en privé, au fil des décennies. Le tableau de Bonvin a quitté la collection en 1967 et celui de Van Mieris en 1991, l’un et l’autre changeant de mains à plusieurs reprises avant leur récente acquisition – ils sont aujourd’hui admirablement et définitivement réunis.

Janet M.Brooke
Experte indépendante, Montréal, et spécialiste de la collection de Sir William Van Horne

Théophile Thoré-Bürger à travers le prisme des lettres et manuscrits

La campagne de numérisation du fonds des Lettres et Manuscrits de la Fondation Custodia permet de faire un point sur certains très beaux ensembles qui étaient jusque-là conservés tels qu’au moment de leur acquisition en 2012.

Ainsi, dans quatre boîtes à archives tout à fait austères se trouvait une partie de la correspondance adressée à Théophile Thoré-Bürger (1807-1869), avocat de formation qui, dès 1832, délaissa cette carrière pour exprimer sa vision politique et esthétique dans ses activités de journaliste et de critique d’art. Son engagement politique radical en faveur de la République le fit condamner à l’exil, entre 1849 et 1859, période pendant laquelle il s’installa en Belgique, au contact de la culture flamande qu’il apprit à connaître, à comprendre et à mettre en lumière. Thoré choisit alors le pseudonyme de William Bürger, ce qui lui permit de publier ses articles en France tout en échappant à la censure. Après sa mort en 1869, on le nommera communément Théophile Thoré-Bürger.

Il s’agissait tout d’abord d’organiser le classem*nt de ces documents et de porter un regard critique et attentif sur l’ensemble afin de révéler tout l’intérêt qu’il y a, pour les chercheurs, à consulter ce fonds. Être sûr d’avoir bien identifié l’ensemble des correspondants, ou du moins éclairé autant que possible leur identité et leur biographie. C’est un travail de recherche méticuleux qui a permis de parcourir les différents milieux parmi lesquels Thoré évolua au cours de sa carrière. Son activité d’expert et de critique commença en 1842 lorsqu’il créa l’Alliance des Arts, avec le Bibliophile Jacob, surnom de Paul Lacroix (1806-1884), un ami proche. C’est cet ami qui conserva la correspondance reçue par Thoré après la mort de celui-ci, et la Fondation Custodia en a fait l’acquisition auprès de ses héritiers. Le fonds est composé de près de cinq cents documents.

Théophile Thoré-Bürger fut le critique qui a su affiner le regard sur la peinture du Siècle d’or hollandais jusqu’à l’éblouissem*nt de la révélation de Vermeer, que l’on appelait alors Jan Van der Meer et que Thoré surnommait le «sphinx». À partir du moment où il publia sur Vermeer, dès 1858 dans son ouvrage majeur Musées de la Hollande et en 1866 avec son article passionnant de la Gazette des Beaux-Arts, les lettres que reçut Thoré étaient très souvent consacrées à cet artiste dont l’énigme et le magnétisme ont été d’une certaine manière formulés, cristallisés par le critique. Cet ensemble de lettres permet d’éclairer à la fois la constitution de sa propre collection, l’évolution de son regard ainsi que les moments importants de la carrière de Thoré-Bürger, cela de manière certainement plus vivante que ses publications: ses interlocuteurs réagissent à ses récents articles et découvertes, ils le voient intervenir dans le monde de l’art européen et lui demandent d’intercéder auprès d’autres marchands ou collectionneurs.

Les grands noms sont présents, tels que Ingres, Delacroix, Manet1 qui invitent chacun Thoré à venir visiter leur atelier pour recueillir l’avis précieux du critique et amateur. Le marchand Paul Durand-Ruel, également, dont une lettre de mai 18672 nous laisse imaginer une visite privilégiée de l’exposition des œuvres de Théodore Rousseau dans la galerie et en présence de l’artiste.

Parmi les correspondants de Thoré-Bürger, on découvre au fil des lettres la personnalité et le goût de certains collectionneurs et amateurs éclairés dont les noms sont liés à de très belles œuvres des plus grands maîtres hollandais. Les plus étonnants et les plus enthousiastes de ces collectionneurs sont également les plus fortunés. Nous pouvons citer ici les noms de Charles de Brou (1811-1877) et Léopold Double (1812-1881). Notamment cette lettre illustrée par Charles de Brou lui-même. Étant mentionné dans le testament de Madame Rivière-Thoré parmi les documents biographiques originaux qui nous sont parvenus avec l’ensemble de la correspondance3, nous savons que Charles de Brou était le notaire de la famille Thoré et, donc, également collectionneur et curieux de nouvelles découvertes.

J’ai en ce moment dans ma chambre un tableau qui m’intrigue fort, je vous assure! C’est un pastiche des plus habiles de Hobbema, fait il y a au moins un siècle et demi, très certainement, et ayant une superbe signature en pleine pâte. Le second plan de ce paysage et le ciel sont superbes [...] et en quelques sorte dignes du maître. […] Je vous envoie le calque de la signature et ci-après je vous donne un croquis du sujet, peut-être le connaissez-vous? […] Connaissez-vous ce sujet? Ça pourrait-il être une ancienne copie d’après Hobbema? Le faire tient aussi un peu de Van Kessel, et d’autres encore. Cet intrigant tableau appartient à notre ami Dumortier, qui, naturellement, le tient pour incontestable! Donc n’en dites, à lui, aucun mal.

Les échanges, sur plus de 70 lettres4, avec Léopold Double permettent de découvrir aussi les coulisses de la grande Exposition rétrospective aux Champs-Elysées telle qu’elle fut organisée en juin 1866, regroupant les chefs-d’œuvre exclusivement issus de collections particulières françaises5. Léopold Double y présenta le Soldat et la fillette qui rit de Vermeer (Frick Collection, New York). Cet événement était certainement aussi pour Thoré le moment d’affirmer la sûreté de son regard sur l’art hollandais. Onze tableaux attribués à Vermeer furent exposés, tous passés sous son regard, parmi lesquels Le Géographe (collection Isaac Pereire, aujourd’hui au Städel Museum de Francfort). De sa propre collection, en plus de six Vermeer (dont la Jeune femme jouant du virginal de la National Gallery de Londres et la Dame au collier de perles de la Gemäldegalerie de Berlin), Thoré montra des œuvres d’Abraham van Beyeren, Carel Fabritius, Frans Hals et Pieter de Hooch. Si certaines attributions ont pu être contestées au fil du temps, cette question-là est très souvent abordée dans la correspondance de Thoré. Il était expert, amateur et critique, son regard évolua et se précisa au fil du temps.

Ce fonds de lettres contient peu de témoignages de la main de Thoré lui-même, mais parfois l’on possède un brouillon ou une copie de réponse envoyée dont il a souhaité garder le souvenir. Comme pour cette copie de lettre adressée à Léopold Double dans l’effusion de la belle exposition qui réunit des œuvres de leurs collections à tous deux.

Cher monsieur et ami, Pensez combien je suis heureux du succès de vos tableaux à l’exposition. C’est notre conquête. Ma passion artiste et désintéressée est de faire arriver dans les collections de mes amis les chefs-d’œuvre et les raretés que je découvre et que je ne puis pas me donner à moi-même. Sans doute, je dirai mon sentiment, comme critique et comme fanatique, dans l’Indépendance et ailleurs, de l’exhibition des Champs Elysées, et surtout de notre cher Van der Meer. En attendant de nouvelles trouvailles, je vous renouvelle, cher ami, l’expression de mon affectueux dévouement. W.B.

L’intérêt de la Fondation Custodia pour les lettres de Thoré-Bürger est ancien et nous conservons notamment un groupe de lettres adressées à son ami et confrère Louis Viardot (1800-1883) qui permettent d’apprécier le style particulier et l’enthousiasme du critique6. Pour les chercheurs, les historiens, les biographes, il y a certainement beaucoup à découvrir dans le détail de ces lettres. Les noms évoqués dans cette correspondance font écho aux grands projets défendus par la Fondation Custodia. Ainsi les lettres des nombreux collectionneurs qui s’adressent à Thoré pourraient fournir de précieuses informations pour enrichir les notices du répertoire des marques de collections créé par Frits Lugt en 1921, dorénavant entièrement en ligne et enrichi continuellement. Dans ce fonds de lettres, il est probable que l’œuvre ou le nom de Jacobus Vrel apparaisse, cet artiste trop méconnu que la Fondation Custodia mettra bientôt à l’honneur avec la première rétrospective jamais organisée: un peintre que Thoré a regardé de près puisqu’il a pu, parfois, hésiter à attribuer son monogramme, J. V., à Johannes Vermeer7. Sans parler de Frans Hals, que Thoré-Bürger a sauvé d’une réputation de peintre aux mœurs dissolues qui risquait de faire disparaître dans l’oubli, pour de mauvaises raisons, un artiste dont certaines toiles ont récemment été présentées dans les salles d’exposition de la Fondation Custodia.

Au cœur du XIXe siècle, Théophile Thoré-Bürger a mis en lumière toutes les qualités de la peinture hollandaise et plus largement de l’art européen. Son regard fait toujours autorité sur bon nombre des sujets qu’il a choisi d’aborder et qu’il a souvent évoqués au fil de sa correspondance. Dans la lignée des expositions de cette année sur les formidables critiques d’art Félix Fénéon et Joris-Karl Huysmans, il ne fait aucun doute que Théophile Thoré-Bürger, lui aussi un grand découvreur, mériterait également d’être mis à l’honneur.

Antoine Cortes

1Respectivement inv. 2012-A.360/360a, 2012-A.94 et 2012-A.381/381a.

2Inv. 2017-A.257.

3Documents parmi lesquels figurent également les dernières volontés de Thoré, les papiers officiels concernant le règlement de sa sépulture, le catalogue de la vente après décès de 1892, certains bordereaux d’acquisition.

4Inv. 2012-A.132/206.

5Exposition rétrospective: Tableaux anciens empruntés aux Galeries particulières: Palais des Champs-Elysées, juin 1866, catalogue disponible sur Gallica.

6Quelque treize lettres autographes signées, acquises au gré des occasions, inv. 2003-A.911/914 et inv. 2013-A.184/192.

7Dans l’exposition de 1866, l’Intérieur de ville hollandaise de la collection Bürger, était présenté comme un Vermeer – il est aujourd’hui attribué à Vrel. Le tableau est conservé au J. Paul Getty Museum de Los Angeles.

Un volume d’estampes de la bibliothèque de Guillaume de Lamoignon

La collection de Frits Lugt compte, à côté des estampes en feuilles volantes, un petit noyau de volumes regorgeant d’estampes reliées.

Certains de ces volumes conservent toujours leur reliure d’origine, mais présentent aussi un certain nombre de traces qui permettent d’identifier le collectionneur auquel elles ont appartenu. Ces traces peuvent être de nature assez différente et consister par exemple en une inscription, un cachet, un ex-libris, un supra ex-libris ou un monogramme au dos du volume. L’ouvrage qui constitue l’objet de cette notice, et dont Lugt ne connaissait pas l’origine, présente trois signes d’appartenance distincts qui nous ont récemment permis d’identifier son tout premier propriétaire.

Le volume en question contient une série d’estampes intitulée Vestigi delle antichità di Roma, Tivoli, Pozzuolo et altri luochi come si ritrovavano nel secolo M.D. Mais la mention sur la planche de titre selon laquelle Marco Sadeler aurait gravé les planches est bien trompeuse car il s’agit en réalité d’une copie au format identique, exécutée pour Giovanni Giacomo de Rossi à Rome par Hieronymus Ferri, graveur moins doué et peu connu, dont les initiales figurent sur quatre planches. La première édition de ces copies date de 1660 (inv. PL-71). Dans l’édition qui nous intéresse ici, la seconde (inv. PL-72), la date a été supprimée du cuivre et la précision suivante, ajoutée à la fin du titre: «Come si ritrovano nel secolo MD» (ill. 1). Les plaques de cuivre de cette édition se trouvent à la Calcografia de l’Istituto Centrale per la Grafica de Rome. L’édition originale de cette suite revient à Aegidius Sadeler. Publiée à Prague en 1606, elle reprend essentiellement, et ce, dans un plus petit format, les compositions de la suite d’Étienne Dupérac parue sous le même titre en 1575 (inv. PL-73, fol. 1-40). La Fondation Custodia possède un exemplaire de l’édition originale de la suite de Sadeler assortie, à la fin, de trois planches publiées par Marco Sadeler, sans date, mais probablement peu après 1629 (inv. PL-73, fol. 77-121).

La reliure de la seconde édition des copies de Ferri est en veau brun et porte sur le premier et dernier plat les armoiries de la famille Lamoignon: losangé d’argent et de sable, au franc quartier d’hermines (ill. 2). Cette famille est bien connue en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, toutefois, les armoiries seules ne suffisent pas à identifier la personne qui a acheté les estampes, commandé la reliure et fait estamper les armoiries familiales en or sur le premier plat.

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Frits Lugt a acquis le volume à une date qui ne nous est pas connue, mais on sait en revanche qu’il a fait restaurer la reliure, alors en assez mauvais état. Du dos entièrement refait subsistent de nos jours deux petit* morceaux du cuir d’origine qui comportent un monogramme estampé en or (ill. 3), composé des lettres G D L. Ce deuxième signe nous permet de penser que le volume a appartenu à Guillaume de Lamoignon (1617-1677), premier président du Parlement de Paris.

Guillaume de Lamoignon (ill. 4) habitait l’hôtel du même nom, à Paris (aujourd’hui Bibliothèque historique de la ville de Paris), où il invitait régulièrement les plus distingués des gens de lettres qu’il aimait à protéger. Boileau disait de lui que «C’étoit un Homme d’un sçavoir étonnant, & passionné admirateur de tous les bons livres d’antiquité; & c’est ce que lui fit plus aisément souffrir mes ouvrages, où il crut entrevoir quelque goust des Anciens» (Œuvres diverses du sieur D***, Paris 1683, préface). La série d’estampes d’après Sadeler montrant les antiquités de Rome et autres lieux, présente dans la collection, confirme bien cette passion. La bibliothèque de Guillaume fut ensuite transmise à son fils, Chrétien-François Ier (1644-1709), avocat général puis président à mortier au Parlement de Paris et membre de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres. Ce dernier sut à la fois enrichir la bibliothèque de son père et nommer à sa tête le savant Adrien Baillet (1649-1706) qui en dressa le catalogue manuscrit en 35 volumes in-folio, aujourd’hui perdu, dit Catalogus Bibliothecae Lamonianae, ab Adriano Baillet compositus. Le dernier propriétaire de la «Bibliotheca Lamoniana» est Chrétien-François II de Lamoignon, marquis de Basville (1735-1789), garde des Sceaux de France. Ce dernier l’a également considérablement étoffée après avoir hérité en 1762 de la bibliothèque de son beau-père, Nicolas-René Berryer (1703-1762), lui aussi garde des Sceaux de France. En 1770, il fit imprimer pour son seul usage en 12 ou 15 exemplaires le catalogue de sa bibliothèque; l’impression sera suivie en 1784 de cinq suppléments.

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Que le volume qui nous intéresse ici soit bien passé chez le dernier descendant de Guillaume de Lamoignon est attesté par la présence d’un cachet ovale avec l’initiale L surmontée d’une couronne fantaisiste, et ce qui constitue le troisième signe d’appartenance figure sur l’estampe de dédicace de la série (ill. 5). Il faut observer par ailleurs que les estampes, livres et manuscrits de la bibliothèque de Chrétien-François II sont estampillés de manière aléatoire et selon une logique difficile à suivre.

Les trois signes relevés dans cette notice nous permettent, une fois réunis, d’identifier la provenance prestigieuse d’un volume d’estampes documentant les antiquités de Rome et d’autres lieux. Pour plus d’informations sur l’histoire de la «Bibliotheca Lamoniana», nous renvoyons les lecteurs à la notice accessible sous le numéro Lugt 5137 dans la base des marques de collections, www.marquesdecollections.fr.

Peter Fuhring

Deux de nos dessins à Florence

La Fondation Custodia affirme également sa présence ailleurs dans le monde à travers ses prêts généreux pour des expositions. Chaque année, des dizaines d’œuvres font ainsi le voyage vers des musées des deux côtés de l’océan pour y jouer un rôle dans un contexte temporaire, permettant aux visiteurs mais aussi à l’équipe de la Fondation de les voir sous un nouveau jour.

Deux des plus belles feuilles de la collection ont été présentées ce printemps à Florence à l’exposition Verrocchio, il maestro di Leonardo au Palazzo Strozzi. L’événement offrait un aperçu quasi complet de l’œuvre d’un artiste (vers 1435-1488) qui fut à la fois sculpteur et peintre et dont l’originalité, surtout dans le premier de ces deux arts, a marqué ses contemporains tout autant que les générations futures.

Les feuilles de la Fondation avaient leur place dans l’une des dernières salles, consacrée aux études de draperies dal naturale qui étaient devenues pratique courante dans l’atelier de Verrocchio – rien d’étonnant de la part d’un sculpteur dont les meilleures statues doivent une grande partie de leur effet au jeu des masses complexes des vêtements. Il s’agit de deux études de la partie inférieure de figures assises, dissimulée sous de lourdes draperies, dues à des élèves qui déjà dans le contexte de l’atelier du maître avaient gagné un certain statut: Lorenzo di Credi (vers 1457-1537) qui, après le départ du maître pour Venise vers 1483, prit la direction de son atelier florentin, et Léonard de Vinci (1452-1519), devenu maître en 1472 mais qui en 1476 travaillait toujours dans l’atelier de Verrocchio.

La feuille de Lorenzo di Credi (ill. 1) a été tracée minutieusem*nt à la pointe d’argent sur papier teinté, une technique courante dans le Quattrocento florentin, tandis que celle de Léonard de Vinci (ill. 2) a été réalisée au pinceau sur un morceau de toile de lin préparé, sans doute la raison pour laquelle elle n’a rien perdu de son éclatante luminosité1. Un siècle plus tard, Giorgio Vasari (1511-1578), auteur de la première grande collection de biographies d’artistes, relate que le jeune Léonard avait réalisé ces études, dont certaines se trouvaient dans sa propre collection, d’après des figures en terre cuite drapées de tissus trempés dans de l’argile humide puis durcis. Les dix-sept feuilles connues dans cette technique inhabituelle étaient jusqu’à très récemment considérées comme de la main de Léonard lui-même, mais il ne fait plus de doute désormais qu’un certain nombre d’entre elles sont l’œuvre d’autres artistes. Ainsi, deux de ces draperies sont présentées à l’exposition sous une attribution à Verrocchio, dans l’hypothèse qu’il a été le premier à pratiquer la technique et l’a ensuite enseignée à ses élèves.

Dans le catalogue qui accompagne l’exposition, Carmen Bambach estime que notre étude devrait compter parmi les plus tardives, toujours plus monumentales, des huit tele di lino qu’elle considère encore être de la main de Léonard, et qu’elle pourrait même dater d’un moment où ce dernier avait déjà quitté l’atelier de Verrocchio. Aucune d’entre elles ne se laisse rattacher à un projet connu et il est possible que l’artiste, comme le suggère Vasari, les ait exécutées en tant qu’exercices. Les artistes de son entourage ont dû grandement les admirer, étant donné le profit qu’ils en ont tiré. Ainsi, l’étude de Lorenzo di Credi de la Fondation Custodia doit certainement être considérée comme une variation de la plus belle feuille de la série de Léonard, aujourd’hui en possession du musée du Louvre et accrochée sur le même mur à Florence (ill. 3), mais exécutée dans sa propre technique, beaucoup plus traditionnelle. Elle confirme à son tour le témoignage de Vasari, selon lequel Lorenzo di Credi avait étudié et copié assidûment le travail de son condisciple bien plus célèbre, en particulier pour ce type d’études de draperies – dont l’auteur possédait également des spécimens – pour lesquelles il avait recours aux mêmes figures en terre cuite. Le drapé montre par ailleurs une analogie étroite avec celui de la Vierge dans un retable à Pistoia, commandé à Verrocchio mais intégralement réalisé par son assistant après son départ de Florence.

En plus d’éclaircir les rapports complexes d’émulation dans l’atelier de Verrocchio, la réunion à Florence de plusieurs de ces études de draperie avait un tout autre objectif: conforter l’attribution d’une statuette en terre cuite au jeune Léonard, dont il s’agirait alors de la seule exploration connue dans le domaine de la sculpture. La Madone à l’Enfant du Victoria & Albert Museum à Londres avait déjà été rattachée à la fin du XIXe siècle à l’artiste – lequel, selon Vasari, aurait modelé dans sa jeunesse «quelques têtes de femmes souriantes [...] et de putti» – mais la piste fut abandonnée au cours du siècle suivant au profit d’une attribution à son contemporain Antonio Rossellino (1427-1479). Que Léonard de Vinci soit l’auteur de cette œuvre a de nouveau été mis en avant par les organisateurs de l’exposition avec force arguments2. Ils pointent notamment les similitudes entre le tombé du vêtement de la Vierge, en plis pointus et profonds, et les études de draperies élaborant le même motif, sans doute la raison pour laquelle la sculpture a été placée dans le voisinage immédiat des feuilles de la Fondation Custodia et du Louvre (ill. 4). Si cette présentation spectaculaire de Léonard de Vinci en sculpteur a eu un grand retentissem*nt dans la presse internationale, elle n’a pas conduit pour autant à une acceptation unanime de sa paternité de l’œuvre. Le musée londonien, par exemple, s’en tient toujours prudemment à l’attribution à Rossellino.

Les deux dessins de la Fondation Custodia font partie d’un ensemble de plus de quatre cents dessins italiens du XIVe au début du XIXe siècle rassemblé par Frits Lugt (1884-1970) et ses successeurs. Lugt a acquis la feuille de Lorenzo di Credi d’un marchand d’art londonien en 1926. L’étude de Léonard lui fut offerte en cadeau – à n’en pas douter le plus beau qu’il ait jamais reçu – par le marquis Hubert de Ganay (1888-1974) en 1954, en mémoire de sa tante, collectionneuse et mécène, la comtesse Martine de Béhague (1869-1939), qui possédait quatre autres des tele di lino de la série.

Hans Buijs

1James Byam Shaw, The Italian Drawings of the Frits Lugt Collection, 3 vols., Paris 1983, nos 6 et 10; Carmen C. Bambach dans Francesco Cagliotti & Andrea de Marchi (éd.), Verrocchio, il maestro di Leonardo, cat. exp. Florence (Palazzo Strozzi), 2019, nos 9.10 et 9.12. Pour ces études de draperies, voir aussi Andrea De Marchi, ibid. p. 51-52.

2Francesco Cagliotti, ibid., p. 45 et n°9.11.

Le futur de l’histoire de l’art dans notre bibliothèque

Depuis trois ans, la bibliothèque de la Fondation Custodia accueille au premier trimestre de l’année des étudiants de Licence de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Ils viennent préparer chacun un exposé et un commentaire écrit sur des œuvres d’artistes flamands et hollandais. Ils trouvent chez nous, en libre-accès, une très importante sélection de monographies sur ces artistes et nous tâchons de guider leurs pas timides dans les sources de l’histoire de l’art: catalogues de musées, catalogues raisonnés et bases de données, comme celle du RKD (Institut néerlandais d’histoire de l’art). Carole Fonticelli, l’une de leurs enseignants et ancienne collègue de la bibliothèque, nous parle d’eux plus en détails.

Vous enseignez à l’université et poursuivez la préparation de votre thèse en même temps. Pouvez-vous, pour commencer, nous parler de votre parcours?

J’ai suivi une Licence et un Master d’histoire de l’art à Paris 1, seule université en France à proposer encore, sous la direction de Colette Nativel, l’étude de l’art flamand et hollandais de la licence au doctorat. Je suis ensuite devenue chargée de travaux dirigés (TD), tout en poursuivant la préparation de ma thèse sur Marie-Madeleine dans l’art des Pays-Bas du Nord. J’ai la chance d’enseigner dans le domaine dans lequel je suis spécialisée, ce qui n’est pas toujours le cas pour les chargés de TD. Je crois que c’est bénéfique pour les étudiants et ça me permet d’avancer la réflexion pour ma thèse car ce public apporte parfois un autre regard.

Qui sont les étudiants que vous nous envoyez et sur quoi travaillent-ils?

Ce sont des étudiants de Licence 2, âgés d’environ 20 ans. Ils sont 280, partagés en 7 groupes que ma collègue Esther Guillaume et moi nous nous répartissons. La majorité suit une licence d’histoire de l’art, mais d’autres ont choisi ce TD en option et viennent d’Histoire, de Philosophie ou même d’Économie.

Les travaux qu’ils ont à préparer traitent de sujets qui s’étendent des Romanistes, les premiers artistes des Pays-Bas du Sud et du Nord à s’être rendus en Italie au milieu du XVIe siècle, aux artistes du XVIIe siècle, notamment Bruegel, Rubens, Jordaens, Van Dyck, les caravagesques d’Utrecht, Rembrandt et son école, Vermeer.

On essaye de les faire travailler surtout sur des œuvres des collections publiques parisiennes pour qu’ils puissent aller les voir sur place. Cela leur permet d’envisager l’œuvre comme un objet, de se questionner aussi sur l’aspect matériel de l’œuvre, sur la scénographie et sur la muséographie. Ce sont des choses que la formation théorique de l’université ne permet pas toujours d’aborder.

Ces jeunes étudiants ont aussi accès à leur bibliothèque universitaire; pourquoi pensez-vous que les jeter dans le grand bain d’une bibliothèque spécialisée leur soit bénéfique?

En tant qu’étudiants en licence, ils n’ont accès qu’aux BU et aux bibliothèques de la Ville de Paris, dont les fonds peuvent être limités au regard de la précision des sujets qu’on leur demande de traiter. Faire la démarche d’aller dans une bibliothèque spécialisée pour des étudiants qui débutent, c’est déjà entrer dans une forme de professionnalisation. Quand je leur parle de votre salle de lecture pour leur dire qu’ils pourront y être assis entre un marchand d’art et un conservateur de musée, je capte soudainement leur attention. Ça les intrigue. Quant aux aspects plus pragmatiques, certains sont tout simplement ravis de pouvoir scanner gratuitement des extraits de livres, surtout lorsqu’ils habitent loin et doivent compter leur temps.

En tant que professeur et jeune chercheuse, donnez-vous des conseils pour le futur à ces apprentis historiens d’art?

Au début, ils n’osent pas aborder ce genre de questions. Puis, petit à petit, ils viennent me voir, pour me parler de stages en particulier. J’essaye donc de leur faire prendre conscience à tous que la formation théorique qu’ils reçoivent à l’université les oriente plutôt vers la recherche et la rédaction d’une thèse. Ils doivent avant tout, comme certains en ont conscience, multiplier les stages, pour s’ouvrir aux autres milieux professionnels: le marché de l’art et les collections publiques et privées. Dès la Licence, ils peuvent trouver facilement des stages dans les galeries parisiennes. Je les invite aussi à s’ouvrir vers l’étranger en réalisant des échanges. J’insiste, quitte à les effrayer, sur l’importance de la maîtrise de plusieurs langues. L’anglais est indispensable, mais s’ils souhaitent poursuivre en art des Pays-Bas du XVIIe siècle, apprendre le néerlandais l’est tout autant. Paris 1 propose cette langue en option, ils peuvent donc l’intégrer à leur cursus. Cela peut donner des résultats intéressants: cette année, une étudiante a cité des proverbes en néerlandais dans son exposé!

Parmi la foule d’étudiants que vous nous envoyez de janvier à avril, on remarque parfois chez certains une réelle motivation et application. Vous percevez cela aussi?

Tout à fait. J’ai eu l’année dernière un excellent exposé sur Rubens par exemple. Nous venons justement de former GRANIT (Groupe de Recherche sur l’Art du Nord: Images, Textes) et le blog qui l’accompagne. On a pensé proposer à des étudiants en Licence, ayant fourni un travail particulièrement intéressant sur une œuvre, de le publier sous la forme d’un article scientifique sur ce blog. Ça pourrait être très motivant pour eux.

L’équipe de la bibliothèque est ravie et fière d’accueillir ces novices, parmi lesquels figurent peut-être de futurs grands historiens d’art. Si vous êtes enseignants, n’hésitez pas à nous envoyer vos recrues!

Cécile Raymond

Interview avec Ger Luijten dans Kunstschrift

Quelles expositions restent gravées dans la mémoire des commissaires d’exposition d’aujourd’hui? Lesquelles étaient révolutionnaires ou mémorables, et pourquoi? D’éminents directeurs de musées et conservateurs se souviennent. En quoi ces expositions dialoguent-elles avec leurs propres projets?

Dans son numéro de septembre 2019, la revue néerlandaise Kunstschrift a interrogé le directeur de la Fondation Custodia sur ses expositions préférées.

Retrouvez l’intégralité de l’article ici: Kunstschrift, septembre 2019.

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Author: Greg Kuvalis

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